Voici le plus beau texte jamais écrit sur les galgos. Il est signé Rafael Narbona.
J'ai choisi les oeuvres de José Amezcua, espagnol lui aussi, pour l'illustrer :
L’Espagne est le pays
où l’on pend les galgos. L’Espagne est le pays qui ne sait pas apprécier
l’inconcevable tendresse d’un animal qui s’enroule dans l’air en dessinant
d’impossibles pirouettes. L’Espagne est le pays des arbres aux branches
assassines, où une corde infâme moissonne une vie aussi légère que l’écume.
L’Espagne est une terre inféconde qui enterre la poésie dans ses entrailles
mortes.

Les
galgos se moquent de l’orthographe en étirant ou en repliant leurs oreilles.
Les oreilles d’un galgo peuvent se transformer en X, en Y ou en LL. Et même, en
se forçant un peu, ils peuvent esquisser la N ou le nombre Phi, le nombre d’or
où se cache Dieu, ils s’amusent avec tous ces chiffres avec une facilité
déconcertante qui laisse loin sur place les maîtresses d’école. Les maîtresses
d’école ne comprennent rien à Dieu ni aux galgos. Dieu est un enfant qui
utilise les pointillés pour traverser les rivières. Il les lance l’un après
l’autre et avance à petits sauts. Ceux qui lui restent, il les garde dans sa
poche. Les galgos ne se séparent jamais de Dieu car ils savent qu’il a besoin
d’eux pour ne pas se perdre par les chemins où est posté l’homme avec une faux
dans sa main. On nous a raconté que Dieu est un vieillard à la barbe blanche et
à la peau ridée mais Dieu est un enfant malade qui fait taire sa douleur en
caressant la tête osseuse d’un galgo. Les galgos surveillent le monde pendant
le repos de Dieu. Chaque fois que quelqu’un commet un méfait, ils lancent un
aboiement et Dieu se réveille mais Dieu ne peut rien faire car personne ne
prête attention à un enfant trop petit pour atteindre le trou de la serrure
d’une porte, même en se hissant sur la pointe des pieds.




On entend les chaînes, les cris, les éclats de rire. Ils s’éloignent tous ensemble, unis dans un destin inégal. Je ressens ce qu’a senti Don Quichotte en contemplant les galions condamnés à pousser un énorme bateau de guerre avec une rame « Pourquoi traiter en esclaves à des êtres que Dieu et la nature ont voulu libres ? » Je me suis assis sur un banc de pierre et je les ai regardés s’éloigner.

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Rafael Narbona |
Merci à l'association Liaison-Lévriers pour avoir publié ce texte sur son blog :
http://www.liaison-levriers.org/
Pour lire le texte de Narbona en espagnol :
http://rafaelnarbona.es/?p=484